Daniel Gaxie, politiste, a produit des travaux académiques que je considère utiles pour les professionnels de la démocratie.
Le département de Science politique de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne a invité le professeur Daniel Gaxie à intervenir lors de sa conférence de rentrée de l’année universitaire 2021-2022. L’objectif ? Marquer la rentrée académique de l’année jubilaire de cette université avec une conférence de l’un de ses plus éminents politistes.
Brève présentation de Daniel Gaxie et ses travaux
Daniel Gaxie, Professeur des universités retraité depuis 2015, a étudié les rapports des citoyens au politique, le militantisme, les élections locales ou encore la professionnalisation du personnel politique.
Je suis convaincu que ses travaux sur les citoyens face au politique sont utiles pour les professionnels de la démocratie, c’est à dire ceux qui vivent de et pour la démocratie (1).
L’un de ses ouvrages les plus connus est Le Cens caché, publié en 1978 (2). Il y montre que l’intérêt pour la politique est inégale dans la population. Certains sont très intéressés par ce sujet, d’autres très peu voire pas du tout. Il fait l’hypothèse que l’intérêt pour la politique dépend de la capacité à se retrouver dans l’univers politique. C’est ce qu’il appelle la compétence politique. La politisation – ici le fait de s’intéresser plus ou moins à la politique – d’un citoyen dépend du sentiment de celui-ci de sa compétence politique. Certains se sentent habilités à s’intéresser à et parler politique là ou d’autres se déshabilitent à le faire. Il montre que le niveau d’éducation constitue le facteur principal du degré de politisation.
Il démontre ensuite que les événements politiques sont différemment appréhendés en fonction du degré de politisation. Les plus politisés analysent ces événements à partir de cadres de pensée politiques (exemple : idéologies partisanes) alors que les moins politisés le font à partir de cadres de pensée non politiques (exemple : la personnalité d’un candidat).
Enfin, Daniel Gaxie affirme que l’auto-exclusion des plus démunis du champ politique perpétue la domination sociale. Il constate que les catégories sociales élevées dans la société sont plus politisées que les moins élevées. Les citoyens culturellement et ou socialement dominés s’auto-excluent de la démocratie.
Bien entendu, j’ai décrit son travail de manière schématique. Il n’est pas question ici de rentrer dans une dispute académique (3).
Pourquoi ces résultats sont importants pour les professionnels de la démocratie ?
Les citoyens les moins politisés ont tendance à s’auto-exclure de la politique, sous toute ses formes. Ils participent moins aux élections traditionnelles et ont moins de chance de participer à un dispositif participatif au recrutement ouvert (participe qui veut, exemple : un débat public) ou fermé (les participants sont sélectionnés, exemple : une conférence citoyenne).
De plus, la forme de leur participation peut être considérée comme hors cadre dans des dispositifs participatifs. Par exemple, des recherches ont montré qu’ils vont avoir plus tendance à utiliser le registre du témoignage affectif (”en bas de chez moi, il y a un problème de X”) qui est dévalorisé par rapport au registre analytique (”le problème X est un problème de société. Y% de cette population a des activités de ce genre”) (4).
C’est pourquoi je pense que les professionnels de la démocratie devraient avoir dans leur boite-à-outil ces deux principes :
- La participation des citoyens culturellement et ou socialement dominés doit être recherchée dans tout dispositif démocratique. Il convient de mettre en place des actions pour les faire participer, et de connaître le public qui participe au moins sur ses caractéristiques socio-économiques.
- Les différents registres de prise parole doivent être considérés de manière égalitaire. L’affect et le témoignage ont tout autant place dans le débat que des arguments analytiques.
NOTES
Image : Daniel Gaxie lors de la conférence de rentrée du département de Science politique de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne 20210914, crédit : WAP.
(1) Je m’inspire de la définition de Laurence Bherer et al. des “professionnels de la participation publique”, définis comme “[tout] individu travaillant dans le secteur public ou privé qui est rémunéré pour concevoir, mettre en œuvre et / ou animer des forums participatifs” (Bherer, L., Gauthier, M., Simard, L. (Eds.), 2017. The professionalization of public participation, Routledge, New York London, p.1, je traduis).
(2) Gaxie, D., 1978, Le cens caché. Inégalités culturelles et ségrégation politique, Sociologie politique, Éd. du Seuil, Paris.
(3) Cf. Barrault-Stella, L., Gaiti, B., Lehingue, P. (Eds.), 2019, La politique désenchantée?: perspectives sociologiques autour des travaux de Daniel Gaxie.
(4) Cf. Blondiaux, L., Traïni, C. (Eds.), 2018, La démocratie des émotions: dispositifs participatifs et gouvernabilité des affects, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), Paris.